MEDEL, association europenne de magistrats compose de treize
associations de dix pays europens, tient à rappeler quelques
lments de fait et de droit qui donnent leur fondement à
l’action des juges espagnols.
- Nul ne peut nier que des crimes contre l’humanit ont t
commis sur une grande chelle au Chili à partir de septembre
1973, date du coup d’Etat militaire dirig par le gnral
Pinochet, coup d’Etat qui a abattu un rgime constitutionnel et bnficiant
d’une majorit des suffrages, ce en violation de toutes les règles
du droit national chilien et du droit international.Les excutions sommaires, les assassinats, les tortures et les mauvais
traitements infligs, plusieurs milliers de morts, 7.000 dtenus
au moins dans le seul stade de Santiago, un nombre plus important encore de
viols et de tortures qui ont laiss des squelles durables...
ne sont pas le fait de dbordements ou d’actes isols au sein
des troupes.Ces traitements rsultent des ordres mÃÂ'mes donns d’en
haut par la junte militaire : les dcrets numrots de
la junte, les discours d’officiers et de membres du gouvernement prononcs
à la radio en font foi.Il apparaît donc que la responsabilit personnelle du gnral
Pinochet est susceptible d’ÃÂ'tre recherche pour ces actes criminels. - Cette ralit justifie l’application des règles de
droit international en matière de crimes contre l’humanit :- la comptence universelle des Etats c’est-à-dire en tout cas,
leur obligation de poursuivre. Les Etats ont alors le choix de juger eux-mÃÂ'mes
ou de livrer les auteurs prsums à un autre Etat qui
souhaite les juger (principe "aut dedere aut judicare") ;
- le rejet de l’immunit de juridiction des dirigeants d’un Etat ;- le rejet des causes d’excuse tires de l’obissance ;
- la nullit de l’amnistie ;
- l’imprescriptibilit.Ces règles trouvent leurs sources dans les Rsolutions 3 (1)
du 13 fvrier 1946 et 95 (1) du 11 dcembre 1946 de l’Assemble
gnrale de l’O.N.U. qui ont consacr au plan universel
le droit issu du Statut et du jugement du Tribunal International de Nuremberg.Elles sont confirmes par les statuts des tribunaux pnaux internationaux
pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda ainsi que par le statut de la Cour
Pnale Internationale qui reste à mettre en place. - La combinaison des comptences. En matière de crimes contre
l’humanit et de crimes de droit international de manière gnrale,
le principe est celui de la comptence concurrente. Chaque Etat est
comptent, la comptence des Cours internationales - lorsqu’elles
existent - n’tant que subsidiaire.Ce principe est lui aussi confirm par le texte des statuts des tribunaux
pnaux internationaux.Chaque Etat a donc le pouvoir et l’obligation de :
- poursuivre ses ressortissants pour les crimes commis contre des trangers
(comptence pnale extraterritoriale classique, dite active)
;
- poursuivre les auteurs de crimes commis contre ses ressortissants (comptence
pnale extraterritoriale classique, dite passive) ;
- en matière de crimes de droit international, poursuivre un tranger
y compris pour des crimes commis à l’tranger contre des trangers
(comptence universelle).Dans cette matière, aucune amnistie n’a une quelconque valeur.
Les Cours pnales internationales ont vocation à juger plus
particulièrement des hommes d’Etat ou des responsables de haut niveau
dont les actes peuvent paraître difficiles à apprhender
complètement par une juridiction nationale. Mais à dfaut
d’existence d’une telle juridiction ou à dfaut de saisine de
sa part, tout Etat du monde est judiciairement comptent. - Les juridictions de l’Etat espagnol sont doublement comptentes
sur base du droit international : de par la comptence universelle
et de par la comptence internationale passive (crimes commis contre
des ressortissants).En outre, l’art. 23, 4 de la Loi organique du Pouvoir judiciaire a inscrit
dans le droit espagnol en 1985 ce principe de comptence universelle
de la juridiction espagnole pour tout crime qui, selon les traits
internationaux, devra ÃÂ'tre poursuivi en Espagne. Les Etats qui ne l’ont
pas encore fait ne remplissent pas leurs obligations internationales. Ils
sont toutefois, sur une base coutumière, tenus par le principe "aut
dedere, aut judicare" (ainsi la Grande-Bretagne qui commettrait une violation
du droit international en remettant le gnral Pinochet au Chili
; cette violation pourrait ÃÂ'tre porte devant la Cour Internationale
de justice de La Haye qui juge des diffrends entre Etats). - Il reviendra à la juridiction de vrifier l’imputation à
des individus bien identifis, en l’espèce le gnral
Pinochet, des atrocits commises contre des personnes en particulier
et d’apprcier un lien de causalit prcis avec l’attitude
et les ordres des dirigeants.Le doute doit bnficier à l’accus. Les droits
de la dfense doivent ÃÂ'tre respects.Toutefois, en matière de crimes contre l’humanit, les suprieurs
sont considrs comme individuellement responsables s’ils avaient
des raisons de savoir qu’un subordonn s’apprÃÂ'tait à commettre
un crime contre l’humanit et s’ils n’ont pas pris les mesures ncessaires
pour l’en empÃÂ'cher. La responsabilit officielle ou l’autorit
de facto d’une personne ne tend pas à l’exonrer de sa responsabilit
pnale mais tendrait mÃÂ'me à l’aggraver.La dcision de la Haute Cour de Londres qui reconnaîtrait au
gnral Pinochet une prtendue immunit en raison
de sa qualit d’ancien chef d’Etat apparaît de ce point de vue
incomprhensible.
C’est pourquoi MEDEL, sans prjuger de l’aboutissement d’un procès,
soutient:
- la dmarche des juges d’instruction Manuel Garcia-Castellon et Baltasar
Garzon lgitimement saisis de plaintes des victimes ou de leur famille
d’attraire le gnral Augusto Pinochet devant une juridiction
rgulière; - les magistrats d’autres Etats qui agissent dans le mÃÂ'me sens.
Pour MEDEL,
Patrice de Charette
Secrtaire gnral
Prsident du Tribunal de Saintes (France)